Témoignage d’architecte

Cet article est issu d’une conférence donnée par l’architecte Philippe Madec, le 20 juin 2023, à l’occasion de l’assemblée générale du conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement des Yvelines (CAUE).

Philippe Madec est architecte DPLG et architecte conseil de l’état. C’est un pionnier du développement durable en urbanisme et architecture. Il a été expert auprès de l’ONU pour la préparation du sommet Habitat III à Quito en octobre 2016.

Philippe Madec (au micro) a débuté sa conférence par une citation d'Edgar Morin, sous le regard attentif de monsieur le maire de Montigny ( à droite).

Il a co-créé en 2018 le « manifeste pour une frugalité heureuse et créative dans l’aménagement des territoires urbains et ruraux», ainsi présenté : « Reconnaissant “la lourde part des bâtisseurs” dans les désastres en cours, ce manifeste appelle à développer des établissements humains frugaux en énergie, en matière et en technicité, créatifs et heureux pour la terre et l’ensemble de ses habitants, humains et non humains. » Une invitation à penser et agir autrement que nous avons plaisir à partager, au moment où les questions du logement et de la rénovation énergétique s’invitent à Montigny. 

Paradoxe : alors que le maire de Montigny est membre du conseil d’administration du CAUE des Yvelines, l’expertise de ce dernier semble ignorée dans les projets municipaux. Nous espérons que cette conférence aura un impact sur les prochaines décisions.

Plaidoyer pour une architecture frugale

Sortir de la pensée unique du tout béton

Le secteur du bâtiment et de la construction est responsable de près de 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ces émissions doivent baisser de moitié d’ici 2050, et d’environ 6% par an pendant la prochaine décennie, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Ceci est possible si l’on accepte de troquer la triade {béton, isolation par l’extérieur, ventilation forcée} contre des techniques faisant appel à des matériaux naturels et intégrant les spécificités climatiques locales.

Maison bioclimatique : principes de base

Faire mieux avec moins

La démarche de l’architecture frugale concerne avant tout les politiques publiques d’aménagement du territoire. Elle s’adresse aux élus locaux, décideurs en tant que maîtres d’ouvrage. Elle implique un changement à 4 niveaux :

Réhabiliter – ne plus construire :

N’engager de nouvelles constructions que par impérieuse nécessité. Faire des réhabilitations performantes. Les rendre accessibles aux plus précaires.

Ménager – ne plus aménager :

Penser « ménager le territoire » au lieu d’ « aménager le territoire ». Sortir des politiques d’étalement urbain. Prendre soin du vivant : eau, biodiversité …

Contenter – ne plus consommer :

Faire mieux avec moins. Moins de besoins énergétiques, moins de ressources, moins de technologies complexes. Plus de mieux-être pour les habitants en valorisant circuits courts et compétences locales.

S’engager – ne plus administrer :

S’appuyer sur l’intelligence collective. Oser innover.

Le plaisir de la créativité

L’architecture frugale offre une infinité de possibles qui permet aux bâtisseurs de donner libre cours à leur créativité : 

utiliser la diversité des ressources de proximité disponibles, et le savoir-faire local (pisé, chaume, pierre …)

inventer de nouveaux matériaux bio-sourcés : béton d’huître, briques de miscanthus (aussi connue sous le nom d’Eulalie)…

penser bioclimatique : grâce aux nombreux logiciels existants, jouer avec la circulation de l’air, de la la lumière, de la chaleur et traiter les îlots de chaleur.

prendre en considération la diversité des humains et de leurs besoins .

La paille de miscanthus est utilisée pour faire des briques

La réhabilitation : incontournable

Une question se pose souvent : que faire avec l’existant dont on veut changer l’usage ? Détruire pour reconstruire, ou réhabiliter ?

La réponse de Philippe Madec est sans appel : [quand]  « Le béton est là on ne détruit pas. Surtout on ne détruit plus, détruire c’est gaspiller de l’énergie, c’est polluer, c’est la cata, c’est imbécile et ça coûte cher ».
Il s’appuie sur la conclusion d’études de l’ADEME parue en décembre 2019 :

Mises en regard des problèmes de pression sur les ressources (sable…), des questions d’artificialisation des sols liées à la construction neuve, et d’émissions de gaz à effet de serre souvent plus favorables à la rénovation, ces deux études apportent donc un élément supplémentaire plaidant en faveur de la rénovation et pour la limitation autant que possible, de la construction neuve au strict nécessaire.”

La frugalité, un luxe ?

L’argument du prix est un des arguments les plus utilisés par les adeptes de l’usage du béton et des opérations de destruction / reconstruction.

Si on compare les prix matériau par matériau, les matériaux vertueux sont effectivement plus chers, en attendant une hypothétique baisse de la TVA sur les matériaux bio-sourcés, comme le demande une pétition lancée en janvier 2023.

Mais si on sort de cette logique pour entrer dans une logique de comparaison projet par projet, les opérations de réhabilitation peuvent être rentables. C’est ainsi que dans l’Eure, la réhabilitation BBC d’un hameau de maisons Phénix a été deux fois moins coûteuse et deux fois plus rapide que la construction d’un éco-quartier dans sa proximité immédiate (coût par logement).

Il est possible de tenir les budgets, à condition de se focaliser sur la qualité du gros-œuvre. Le reste, qui dépend des goûts et des modes, peut passer au second plan.

D’autre part, les matériaux bio-sourcés permettent la longévité des constructions, à condition d’être mis en œuvre selon les règles de l’art et entretenus convenablement – les exemples de bâtiments anciens toujours debout sont nombreux. L’architecture frugale, par sa robustesse, est capable d’affronter les surprises climatiques qui nous attendent. Bien davantage que les constructions en béton armé, à vieillissement souvent problématique.

Oui, c’est possible : exemples

Faire avec les gens : l’ancienne cité ouvrière Paul Boncour à Bordeaux

En cours de délabrement, cette cité était coincée entre maisons de pierre, échoppes et barres . Le bailleur social souhaitait construire 130 nouveaux logements sur le site.
L’équipe des constructeurs est allée à la rencontre des habitants et des riverains de la cité : présence à la fête des voisins ; ouverture d’un lieu d’échanges dans une des maisons destinées à être détruites. La première maquette a été revue après sa présentation suite à des remarques des habitants.
Le projet initial a été largement modifié : certaines maisons ont été réhabilitées au lieu d’être détruites et un habitat coopératif s’est greffé à l’ensemble.

Faire avec les inondations : éco-village Val de Reuil, dans l’Eure

Val-de-Reuil est une ex-ville nouvelle, tombée en décrépitude dans les années 80. La municipalité a décidé de lui redonner vie grâce à un éco-quartier, l’éco-village des Noés. Le site est inondable. On a construit en laissant à l’eau toute sa place : pas de béton mais des zones naturelles qui deviennent des mares quand l’eau est là. Les enfants y jouent quand c’est sec. On peut y observer les oiseaux en hiver.

La nature est partout et le collectif est favorisé: jardins familiaux, poulailler collectif ; voitures à l’écart, stabilisé au lieu de goudron imperméable, végétation laissée libre pour gérer l’effet ilot de chaleur ; on a même profité de la présence d’ânes pour améliorer le pédibus : les ânes portent les cartables des enfants !

Eco-quartier du val de Reuil : faire confiance à la nature

L’ensoleillement et l’aération des logements ont été étudiés : tous reçoivent au moins 2 heures de soleil au 21 décembre; il y a des fenêtres à toutes les pièces, y compris les salles de bains. Il y a une isolation par l’extérieur contre le froid et les matériaux des murs permettent une inertie thermique l’été : les besoins en chauffage et climatisation sont presque nuls.

A côté de ce quartier se trouve un ensemble de maisons Phénix, vraies passoires thermiques datant des années 80. Ce hameau a retrouvé sa valeur grâce à une réhabilitation au niveau BBC, et à la naturalisation des espaces publics.

Faire avec l’existant : Paris XIX, médiathèque James Baldwin et maison des réfugiés à la place d’un lycée hôtelier

Choix drastique : on ne détruit pas le béton qui est en bon état, on le nettoie . On réutilise au maximum des possibilités : le projet devient « la carrière de son propre devenir». Les nouvelles structures nécessaires sont en terre coulée (la terre du Grand Paris remplace le béton et le bois bio-sourcé remplace les armatures métalliques). On soigne la ventilation naturelle, on met des persiennes pour protéger du soleil. Tout ceci permet de se passer de chauffage et de climatisation. En prime, la surface imperméabilisée passe de plus de 70 % à environ 30 %.

Près de chez nous : une école en bois et paille

Première école bio-sourcée des Yvelines. Bâtiment en bois,isolé avec de la paille, et doté d’une ventilation naturelle, à Achères.

Pour en savoir plus : le CAUE?

Le CAUE est un organisme investi d’une mission d’intérêt public. Il a pour objectif de promouvoir la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement dans le territoire départemental. C’est un organe de concertation entre les acteurs impliqués dans la production et la gestion de l’espace rural et urbain. C’est aussi un centre de ressources, lieu de rencontres, d’échanges et de diffusion culturelle. Il apporte une aide à la décision. Son conseil est accessible à un public varié (particuliers, élus ou services de l’État, professionnels…).

Le président actuel du CAUE des Yvelines est M. Patrick Stefanini, conseiller départemental des Yvelines. M. Lorrain MERCKAERT, conseiller départemental, maire de Montigny-le-Bretonneux et vice-président de la Communauté d’Agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines délégué à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire siège à son conseil d’administration.

Sources

Les CAUE : site national; site du CAUE des Yvelines;  site du CAUE de l’Eure .

Site de la frugalité heureuse et créative : https://frugalite.org/

Site “mes opinions.com” pour  la pétition : https://www.mesopinions.com/petition/nature-environnement.

Site architectes.org: https://www.architectes.org/actualites/bilan-mondial-de-l-action-climat-dans-le-secteur-du-batiment-en-2020

Site de l’ADEME : https://presse.ademe.fr/

Site de Philippe Madec pour l’illustration de la cité Paul Boncour : https://www.atelierphilippemadec.fr

Site de la mairie de Paris : https://mairie19.paris.fr

Site Yvelines-info : www.yvelines-infos.fr

Illustration de la maison bio-climatique inspirée par le site architecture verte : http://architectureverte.fr