Le dimanche 6 février 2022, nous sommes allés à la conférence « le Plateau de Saclay face au réchauffement climatique » avec Jean-Marc Jancovici, fondateur du shift projet et cofondateur de carbone4, Nathalie Blanc Directrice de recherche au CNRS et directrice du Centre des Politiques de la Terre à l’université de Paris et Fabienne Merola de l’association « Urgence Saclay ». Ce débat était organisé par l’AMAP Les Plateaux de Cérès, qui a aussi un volet d’éducation et de réflexion.

Après de brèves présentations des travaux des uns et des autres, un débat s’est engagé avec le public avec des questions passionnantes et éclairantes sur l’énergie, notre dépendance et ses impacts, les risques et impacts de l’urbanisation du plateau de Saclay, des solutions mises en place sur d’autres territoires.

Intervention de Jean-Marc Jancovici

Jean-Marc Jancovici plante le décor du plateau de Saclay et explique en quoi, dans l’évolution séculaire, l’accès à l’énergie a concentré les populations dans les aires urbaines : Au fil du temps de l’accessibilité à l’énergie, la population rurale a diminué pour venir s’installer en ville avec ses promesses de travail et de vie meilleure, puis les populations industrielles ont diminué à leur tour, pour se trouver remplacée par les emplois tertiaires.

La pertinence de l’urbanisation d’une zone doit être réfléchie à une échelle séculaire voire millénaire. L’urbanisation a été possible jusqu’à maintenant car tout au long de l’histoire, l’énergie abondante a vaincu toutes les adversités : le froid, le chaud, la distance… L’Ile-de-France ne produit presque rien de ce qu’elle consomme : 6% de ce qu’elle mange, 0% de son habillement, 0% des automobiles… Sa dépendance est donc forte et ne fonctionne qu’avec une énergie abondante.

Cette énergie abondante a pu être possible grâce aux combustibles fossiles. Or ces combustibles ont deux inconvénients : ils émettent du CO2 et ils sont épuisables. On les utilise 1 million de fois plus vite que la vitesse de reconstitution ! Et 80% de notre consommation d’énergie est fossile.

“Le pétrole, c’est du soleil en conserve.”

Pour le futur (proche), des batailles pour l’énergie vont avoir lieu : les 16 premiers pays fournisseurs d’énergie vont devoir diviser par 2 leur production d’ici 2050. Or, comme ils vont souhaiter garder l’énergie pour eux, cela va induire 4 fois moins d’énergie disponible pour les autres…

Le shift project a produit un rapport sur la résilience des territoires (1), pour aider les élus dans l’équation moins d’énergie / plus d’adversité climatique. Un point clé est la maitrise des enjeux par les élus locaux, ils devraient consacrer au moins 1% de leur budget à la formation.

Intervention de Nathalie Blanc

Nathalie Blanc a participé à la convention citoyenne pour le climat. Elle travaille sur la manière dont les territoires gèrent les questions des inégalités territoriales et de la transition socio-environnementale.

A Ivry sur Seine, une démarche de convention citoyenne pour le climat a été mise en place. Ce sont des volontaires qui participent (il ne s’agit pas ici de tirage au sort des participants).
Des pôles de coopération économique doivent être créés dans le but de construire des réseaux résilients face aux chocs climatiques. Avec cette démarche, des acteurs de la société civile se mettent en réseau avec la municipalité. L’alimentation en est un volet important.

Intervention de Fabienne Merola

C’est un projet d’extension du modèle très dense de Paris et de sa petite couronne qui est proposé. Une spécificité du plateau de Saclay est que ce plateau est très enclavé par des vallées. Il produit des rendements exceptionnels et constitue un espace de respiration entre deux grands bassins de vie.
Il y a contradiction entre un projet aménagement et l’instauration d’une zone naturelle.
Le campus urbain de Paris-Saclay fait 670 hectares. Entre 2000 et 2025, 400ha auront été urbanisées.
Ce n’est pas un développement ex-nihilo mais le transfert d’activités déjà établies ailleurs.
De plus, la ligne 18 n’apporte pas de liaison avec les bassins de vie : Pas de liaisons nord sud prévue. La congestion va donc s’aggraver.

Il est notamment regrettable que la zone de Courtaboeuf, déjà urbanisée, soit quant à elle laissée à l’abandon.
Et on voit déjà que l’urbanisation va continuer son emprise : des projets naissent sur Guyancourt, Saclay, Palaiseau…

Symptomatique de nos mauvais indicateurs de valorisation, le directeur de l’EPAPS (Établissement public d’aménagement Paris-Saclay) a indiqué “c’est une chance, on part de rien” or les territoires agricoles ne sont pas “rien” ! Il faut valoriser les besoins alimentaires et changer nos indicateurs et notre vision des choses.

Questions et échanges avec le public

Quand l’idée de ce projet a t-elle commencé ?

Dans les années 1960. Dans les années 2000 il aurait été encore possible de stopper le projet. Il aurait fallu affirmer la vocation agricole et dynamiser l’existant. On n’a pas réfléchi à l’insertion du projet dans le territoire.

La région Ile-de-France peut-elle être autonome d’un point de vue alimentaire ?

On peut gagner en convertissant les céréales pour le bétail en cultures pour l’alimentation humaine mais cela risque de ne pas être suffisant. Pour une surface identique, avec des pommes de terre on nourrit 300.000 habitants, seulement 15.000 avec de la viande.

L’association Terres de liens propose l’outil Parcel qui permet de calculer la surface nécessaire pour une commune pour être auto-suffisant sur le plan alimentaire. La seule commune capable de le faire serait Saclay.

Autre point, à l’avenir il y aura davantage d’averses éclair, qui provoquent des inondations. Avec l’artificialisation des sols, le problème va être renforcé. Dans la construction du projet, pour retenir de l’eau, on a déjà dû prendre sur des surfaces cultivables pour creuser des bassins de rétention.

Actions des élus

Un point clé est de former les élus. Une préconisation du shift project est de consacrer 1% de leur budget pour comprendre et maitriser les enjeux et les objectifs de neutralité carbone.

A Jouy en Josas, la fresque du climat (2) a permis de changer les mentalités de l’équipe municipale.

Aux Loges-en-Josas, la municipalité a installé des maraichers mais ce n’est pas facile. Il faut laisser s’organiser selon les opportunités et les affinités.

Concentration des compétences sur le campus

Un élève de Centrale Supelec fait part de son expérience très positive de la concentration de compétences, y compris sur le plan écologie. Il voudrait qu’on lui explique mieux le problème :
Jean-Marc Jancovici lui répond que sa fille a l’Agro à Grignon a pu être très sensibilisée malgré l’isolement apparent comparé au campus de Saclay.

Le problème c’est de vouloir tout concentrer alors que l’on n’a plus les moyens énergétiques de transport. On a pu passer de 10.000 foyers a 10 millions d’habitants dans certaines zones grâce à l’énergie. Mais le projet du plateau de Saclay est maintenant totalement anachronique. Notamment, la place devant les bâtiments Eiffel et Bouygues (récemment construits) est l’exemple exact de ce qu’il ne faut pas faire pour éviter les ilots de chaleur.

Le plan énergie climat local est-il a la hauteur ?

Valerie Masson-Delmotte, présidente du groupe 1 du GIEC et présente au débat – dont elle apprécie le cadre d’échange avec les scientifiques et élus – donne son avis : c’est non, le plan Climat Air Energie Territorial (PCAET) n’est pas à la hauteur : On ne tient pas compte des évolutions a venir. L’inventaire actuel de stockage de carbone n’existe pas. Elle remarque que des choses plus positives ont été faites sur le plateau que dans les vallées.

Quelles similitudes entre Notre-Dame des Landes et le Plateau de Saclay

Peu de similitudes : L’abandon de Notre-Dame des Landes a aussi été aidé par le fait que le cône de bruit sur des terres urbanisables de Nantes a été réduit par le progrès technique des avions qui sont plus silencieux. La mairie de Nantes n’avait donc plus vraiment besoin de libérer les espaces de l’aéroport de Nantes pour réaliser ses projets immobiliers.

L’impact sur l’agriculture

Emmanuel Vandame agriculteur sur le plateau de Saclay intervient :  Il faut former davantage les élus. Il faut plus de liens entre le public et les exploitants agricoles. Il s’interroge : Pourquoi les anciens bâtiments n’ont ils pas été rénovés ? Pourquoi les bâtiments sont ils en béton et en verre ?

Les animaux et notamment les ravageurs se concentrent sur l’espace cultivé. C’est déjà observables, certaines cultures ne sont plus possibles (les petits pois par exemple).

Pour le maraichage, il faut de la main d’oeuvre, qui est difficile à trouver. Tous les exploitants sont confrontés à cette pénurie.

Toutes les terres ne se valent pas : Sur les terres de Gonesse une profondeur de 30 cm de terre végétale n’avait aucun rapport avec de la pleine terre.

Quelles solutions ?

Nathalie Blanc : Se mettre en réseau avec d’autres territoires.

Jean-Marc Jancovici : On est dans un conflit d’objectifs. Il faut changer les indicateurs économiques et physiques. L’indicateur monétaire n’est pas le meilleur. Il faut penser une hiérarchie des renoncements.

Fabienne Merola : Se recentrer sur le territoire et reconnecter vallées et plateau. Il y a un travail de mobilisation à faire.

Pour aller plus loin